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Mythes & Légendes

« Le poète est celui qui peut écrire aujourd'hui une authentique mythologie sans l'aide de la postérité. » [Henry David Thoreau]

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Gustave Doré Charles Perrault's Fairy Tales, 1867.

Mythologie : Ensemble des croyances d'un peuple primitif au sujet de ses origines, de ses héros, de ses dieux, etc... ; à distinguer des récits exacts qu'il invente par la suite. (Ambrose Bierce, Le Dictionnaire du Diable, traduction de Jacques Papy, page 157)

Dans la mentalité des peuples premiers, les objets du monde extérieur, pas plus que les actions humaines, n'ont de valeur intrinsèque autonome. Les choses n'acquièrent une valeur sacrée que lorsqu'elles deviennent mémorables, c'est à dire susceptibles de répétition, faculté qui les dote d'un pouvoir de pérennité. Mircea Eliade, dans son livre Le mythe de l'éternel retour (Gallimard, 1949), explique que la mémoire collective est anhistorique.

 

D'une manière générale, « le souvenir des éléments historiques et des personnages authentiques se modifie au bout de deux ou trois siècles afin de rentrer dans le moule de la mentalité archaïque. » Celle-ci, privilégiant l'exemplaire au détriment de l'individuel, expulse le récit de son contexte historique pour le projeter dans une dimension atemporelle. l'évènement quitte le cadre mémoriel qui l'a généré pour intégrer un passé ancestral insituable ; cette perte progressive de tous repères historiques devenant la condition de sa survivance constitue la modalité préalable de son éventuelle transformation en mythe.

 

Mais le concept de mythe est un produit de la pensée grecque antique, et n'a pas d'équivalent avant cette époque. En Mésopotamie, la distinction entre les genres de récits n'existait pas. Les textes épiques des sumériens confondent épopées, mythes et légendes. Si la civilisation mésopotamienne a disparu quelque part entre la fin du IIIe millénaire et le début du IIe millénaire av. J.‑C., peut-être ont-ils néanmoins joués un rôle déterminant dans l'élaboration des différentes formes narratives que l'on connait maintenant. Les récits fragmentés qui nous sont parvenus contiennent aussi bien des passages relevant de la mythologie divine (Le Déluge dans l’Épopée de Gilgamesh), que des chants dialogués, des passages narratifs, des rituels religieux (incantations, prières adressées aux dieux), des textes de débats, etc.

 

La plupart des "mythes sumériens", sont en fait des récits rédigés en sumérien, issus d'un contexte dans lequel le sumérien était manifestement une langue morte ou en passe de le devenir, et était surtout pratiquée dans le milieu des lettrés. Ainsi le récit de la Genèse d'Eridu, ou l'épopée d'Atrahasis (ou "poème du Supersage" dans la deuxième partie duquel on rencontrera une version du Déluge similaire à celle de l'Épopée de Gilgamesh) sont inspirés de récits cosmogoniques oraux akkadiens, c'est-à-dire datant d'entre la fin du XXIVe et le début du XXIIe siècle av. J.-C.

 

Il faut donc différencier la légende du mythe. Le mythe a vraisemblablement une base historique, déformée et idéalisée lors de la transmission orale, tandis que la légende, récit écrit mêlant la fantasmagorie au réel, peut être purement imaginaire et appartient au domaine du folklore. Son origine est religieuse et peut-être datée du XVIe siècle. Il s'agissait primitivement d'hagiographies de saints, destinées à être lues lors des repas dans les monastères ou dans les églises, pour l’édification des fidèles, lors de fêtes dédiées. Le mot "légende" provient d'ailleurs de l'adjectif verbal latin "legenda" signifiant "qui doit être lue".

 

Le glissement vers le merveilleux résulte de la nécessité devant laquelle se sont trouvés les hagiographes d'alimenter par des récits le culte de saints personnages dont ils ignoraient à peu près tout. La majorité d'entre eux ont par ailleurs puisé sans retenu dans "La Légende dorée" ("Legenda aurea" en latin) rédigé en latin entre 1261 et 1266 par Jacques de Voragine, dominicain et archevêque de Gênes. L'ouvrage rassemble la vie édifiante d'environ 150 saints ou groupes de saints, saintes et martyrs chrétiens.

 

Pour le médiéviste Philippe Walter, la construction de cette mythologie chrétienne repose en grande partie sur l'adaptation et la réutilisation de croyances païennes antérieures. De fait, dans la légende (comme dans le conte ou la fable qui en sont des sous-genres), la fiabilité de la source et la précision historique passe nettement au second plan tandis que l’intention éducative, spirituelle ou métaphysique domine largement la démonstration.

 

Jean-Pierre Bayard, dans son Histoire des légendes (P.U.F., 1970), énumère une dizaine de théories relatives aux origines des légendes : « La théorie anthropologique, soutenue par Henri Gaidoz, Wilhelm Mannhardt et Edward Tylor, postule que les légendes proviendraient de pensées humaines primitives, de restes de religions et cultures élémentaires. La théorie astrale ou naturaliste considère les contes et les légendes étiologiques comme divinisant les grandes manifestations de la nature. La théorie mythologique est avancée par Grimm qui attribue la création des contes à l'enfance préhistorique de la patrie, Angelo De Gubernatis, à un naturalisme enfantin, Schelling, à la conscience individuelle du peuple qui ajoute aux légendes créées une signification religieuse. La théorie linguistique considère que les légendes sont issues de la transmission de récits entre plusieurs peuples qui empruntent les mots à d'autres cultures, les déforme, ce qui obscurcit le sens primitif originel et donne naissance à de nouveaux récits. »

 

Il est sans doute possible qu'une légende puisse évoluer en mythe en s'enrichissant et en gagnant en cohérence. De manière inverse, il est aussi possible qu'une partie d'un mythe évolue vers la légende. Le spécialiste en mythologie Walter Burkert (Les cultes à mystères dans l'Antiquité, les Belles lettres, 2003) suppose que pour qu'un récit traditionnel fonctionne, il doit contenir une référence secondaire, partielle, à quelque chose qui a une importance collective.

 

Si l'on s'en tient aux dernières avancées des études mythologiques, un mythe est constitué d'un ensemble de croyances organisées en système, sous-tendu par une logique de pensée propre à une communauté donnée, dans un endroit et à une époque donnés. Il s'agit de récits qui fournissent des explications aux « grandes questions » philosophiques que se pose l'humanité et mettant en jeu l'ordre du monde : la création du monde et son fonctionnement, l'apparition de l'humanité, les possibles fins ou apocatastase, etc.

 

La notion de folklore auquel se réfère la légende répond à une notion plus large, car il englobe également les rites, les savoir-faire, les chansons, les danses, et tout ce qui relève du patrimoine culturel immatériel d'un peuple particulier, tout en abordant des enjeux moins fondamentaux. Une autre distinction possible est chronologique : on nomme mythologies les ensembles de récits remontant à l'Antiquité, tandis que ceux apparus plus tardivement (au Moyen Âge ou après) relèvent plutôt du folklore.

 

Depuis qu’il parle, semble-t-il, l’homme raconte. Et du moins depuis qu’il écrit, les textes se rencontrent, fusionnent, se transforment et se métamorphosent au gré des cultures et des époques. Les Métamorphoses d'Ovide ou L'Âne d'or d’Apulée, par exemple, ont été des sources d'inspirations fertiles pour de nombreux nouveaux contes. Ainsi l’histoire de Psyché et Cupidon a traversé les siècles pour inspirer l'histoire de La Belle et la Bête.

 

Avant de terminer cette introduction, je ne peux m'empêcher de citer quelques recueils incontournables en plus de ceux déjà présenté et en remontant depuis le passé. Le Livre de mille et une nuits : ce recueil anonyme de contes populaires proviendrait de l'adaptation en arabe d'un ouvrage persan intitulé Hézâr afsâna (Mille contes) dont le contenu serait issu de trois sources distinctes ; une source indo-persane à coloration hellénistique se situant entre les IIIe et VIIe siècles ; un fonds arabe datant de la période du pouvoir des califes de Bagdad entre les IXe et XIe siècles ; un fonds populaire égyptien datant des XIIe et XIIIe siècles. La Divine Comédie, poème de Dante Alighieri écrit en tercets enchaînés d'hendécasyllabes en langue vulgaire florentine et composée entre 1303 et 1321. Le Décaméron, recueil de cent nouvelles rédigées par l'talien Boccace entre 1349 et 1353. La Pérégrination vers l'ouest, roman chinois du XVIe siècle écrit par Wu Cheng En et repris par Frédérick Tristan en 1972 sous le titre Le singe égal du ciel. L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, roman de l'espagnol Miguel de Cervantes terminé en 1615.

 

Plus récents, et parmi les plus beaux à mon sens, l'épopée finlandaise du Kalevala rédigée par le folkloriste Elias Lönnrot en 1835. Les contes d'Andersen composé par l'auteur danois Hans Christian Andersen entre 1835 et 1873 (dont sont issus entre autres les récits La petite sirène, La reine des neiges, La bergère et le ramoneur, La marchande d'allumettes, La princesse au petit pois, pour ne citer que les plus connus). Le Manuscrit trouvé à Saragosse de l'écrivain polonais Jean Potocki dont la dernière version date de 1810, et qui est un récit à tiroir composée de soixante-et-une journées s'achevant par un épilogue. La légende de la mort, compilation de récits et de croyances recueillis en Basse-Bretagne par Anatole Le Braz en 1893. Les Contes merveilleux du folkloriste roumain Petre Ispirescu, recueillis en 1862 entre Carpates et Danube, réédités en 1979 chez Minerva et malheureusement pratiquement introuvables depuis. Les contes du prolifique écrivain belge Jean Ray (plus de 9 000 contes et nouvelles, écrits sous une cinquantaine de pseudonymes) publié entre 1925 et 1964 (Les contes du whisky, Les Derniers Contes de Canterbury, Les Contes noirs du golf, Les Joyeux Contes d'Ingoldsby, Les Contes du Fulmar, etc.)

 

Il faut encore citer les trois Charles : Perrault (Les contes de ma mère l'Oye), Nodier (La fée aux miettes, Infernalia, Smarra) et Deulin (Contes d'un buveur de bière). Charles Deulin possède une spécificité interessante, il s'agit de sa capacité à revisiter les contes existants et à les redécliner sous une forme entièrement nouvelle. Par exemple dans un conte intitulé La Dame des Clairs, Deulin a amalgamé deux contes de Grimm : il s'est servi de Doucette pour le début, et de L'Ondine pour la fin. Ou bien, il incorpore un conte très court (Le petit paysan au Paradis de Grimm) et en fais un épisode d'une histoire plus complexe : La chandelle des Rois. Charles Deulin renoue ainsi avec la dynamique d'écriture originelle des contes et légendes de la tradition…

 

Et puis en vrac, Les Contes de Grimm. L'Illiade et l'Odyssée d'Homère, Le Cycle des chevaliers de la table ronde, L'épopée de la mythologie hindoue : le Mahabharata, La Chanson des Nibelungen, les quatre branches galloises du Mabinogi (ou Mabinogion, La Chanson de Roland et tant d'autres…

 

(Frédéric Schäfer; 17/07/2022)

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